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| - [Source France 5]
Boko Haram continue son chantage. Dans une nouvelle vidéo diffusée lundi matin, Abubakar Shekau, le leader de la secte, a revendiqué une fois de plus l'enlèvement de quelque 200 lycéennes le mois dernier et exigé la libération de prisonniers du groupe islamiste en échange de celle des adolescentes. Une demande fermement rejetée par le pouvoir nigérian. L'analyse de Vincent Hugeux, journaliste à L'Express et spécialiste de l'Afrique.
Le Nigeria a exclu de libérer des membres de Boko Haram en échange des lycéennes nigérianes enlevées. Dans une nouvelle vidéo, diffusée lundi 12 mai, la secte islamiste posait cette condition. Était-elle inacceptable ? "Bien sûr et même si les autorités se plient à ce diktat, elles diront le contraire. C'est la loi du sport. Ce n'est pas très surprenant sur le fond. Souvenons-nous, par exemple, que la libération de la famille française Moulin-Fournier - qui avait été enlevée dans l'extrême nord du Cameroun, en février 2013, et libérée deux mois plus tard - a été sans doute facilitée par un peu de circulation de cash, mais potentiellement par des libérations de compagnons de route du patron de Boko Haram, détenus au Nigéria ou au Cameroun. Donc pour un chef djihadiste, mais il en va de même pour les patrons d'Aqmi ou du Mujao dans le Sahel au Mali, le fait de parvenir à obtenir la libération des compagnons ne peut que lui valoir prestige et admiration. C'est sans doute aussi important pour lui qu'une rétribution sonnante et trébuchante".
Quelle a été votre première réaction en voyant cette vidéo ? "Ma première réaction, c'est d'observer la différence de comportement notamment dans le langage gestuel entre cette vidéo et celle qui a été émise et diffusée il y a exactement une semaine. À l'époque, souvenez-vous : gestuelle théâtrale. On avait un type goguenard qui s'esclaffe, qui s'amuse, qui défie, qui gesticule d'une manière fébrile. Et là, vous avez quelqu'un qui est plutôt retenu, et avec plus de gravité. La mise en scène n'est pas la même (
) On voit également les jeunes filles. Et mon hypothèse est qu'ils ne sont pas dans le même lieu parce que pour que la mise en scène funeste, que l'on voit ici, soit plus d'impact il faudrait qu'il figure au milieu delles. Or, elles apparaissent. Certaines sont interviewées sous la contrainte, mais lui n'y est pas. Et s'ils sont dans des endroits différents, c'est pour des raisons de sécurité. Lui doit être planqué dans un de ses sanctuaires personnels, mais cela ne l'empêche pas de donner ses instructions".
Abubakar Shekau, le leader du groupe islamiste, n'a-t-il pas fait là le coup de trop ? "Mon interprétation, pour peu que l'on puisse lui attribuer un peu de rationalité, ce qui reste à démontrer, est qu'effectivement il comprend que les pressions convergentes, et notamment l'intrusion de systèmes de renseignements technologiques modernes de types aériens, drones et autres, qui ont fait la preuve de leur efficacité notamment au Sahel, puissent contribuer à la localiser. Pour ma part, je suis assez surpris de voir qu'à l'évidence la majorité de ces filles se trouvent au même endroit. Mais encore faudrait-il savoir quand les scènes que l'on vient de voir ont été tournées ? Parce que ce n'est pas très prudent, puisque justement en terme de satellites, de drones, il est beaucoup plus facile de repérer d'éventuels mouvements de convois, voir des mouvements humains alors que si vous aviez dispersé ces jeunes femmes dans dix ou quinze sites différents, profitant au demeurant de l'extrême porosité des frontières, notamment celles du Cameroun, il y avait diminution du péril pour lui. C'est là effectivement qu'il y a un danger. D'autre part, dès lors que vous posez des conditions, même officiellement inacceptables c'est-à-dire que vous engagez un dialogue, cela veut dire qu'il y a des émissaires, que vous devenez localisable. Et donc, il y a là aussi, me semble-t-il, un danger".
"J'ajoute un dernier point : ce qui est intéressant, c'est qu'historiquement Boko Haram ne pratiquait pas l'enlèvement d'expatriés. C'était laissé à une espèce de filiale dissidente qui s'appelle Ansaru jusqu'aux affaires de la famille Moulin-Fournier et du père Vandenbeusch, là c'est Boko Haram qui revendique. Là, cela veut dire qu'il y a une inflexion tactique de sa part. Mais dans le passé, cette exécration du savoir que l'on retrouve dans l'école se traduisait par des massacres sur des campus, dans des dortoirs. Vous avez des gamins et des gamines qui ont été massacrés dans des dortoirs d'école. Il y avait des destructions, donc c'est la première fois à mon sens que ce combat pour une éducation, une culture qui est jugée impie et toxique se traduit par un enlèvement de masse".
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